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Entrée en Matière

 

Le jour de notre rencontre, Pierre Lavielle m’expliqua ne prendre que très peu de photographies — une trentaine par an peut-être, dont une poignée seulement trouve suffisamment grâce à ses yeux pour être conservées.

C’est dire qu’une part essentielle de son œuvre se tient entre les images — dans la vie qui s’écoule entre chaque prise de vue, autant que dans les intervalles dans la succession les images, d’où peu à peu émerge ce que ces dernières résistent à énoncer trop frontalement.

C’est dire aussi que Pierre Lavielle pratique la photographie comme une forme d’ascèse : qu’il ne « prend » pas une photographie, mais qu’il se met dans une situation d’attente du surgissement de son évidence. Dans ses images d’espaces intermédiaires, d’entre-deux que la figure humaine a fréquemment déserté, se laissent sentir plutôt que voir des temporalités hétérogènes, fragmentaires.

Leur organisation sérielle semble participer d’une logique d’archivage dont l’objet échappe — un agencement dysfonctionnel du réel, que le langage échoue à circonvenir. En témoignent les associations distendues dans la série exposée au musée, qui dédouble les archives et objets présentés, et ouvre la collection sur un ailleurs. Dehors, dans le Jardin des Secrets, l’anonymat d’une figure en armure dans sa cellule industrielle introduit une dysjonction inquiète dans la tranquillité de l’endroit.

Ces photographies mutiques et chargées à la fois — en un mot, résilientes —, se tiennent quelque part entre le « ça a été » de Roland Barthes et le « temps faible » de Raymond Depardon — ou peut-être à l’écart de l’un et de l’autre. Plutôt que l’image des choses, elles interrogent silencieusement mais obstinément le vivant et la mort, et nous renvoient l’écho de notre présence passagère.

 

Cédric Loire

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