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L’étrangeté disparate
 

          Par des cadrages serrés qui leur confèrent souvent l’apparence impersonnelle du constat, mais aussi en raison d’une interdépendance liée à leur présentation sous formes de séries, les photographies de Pierre Lavielle semblent relever d’un projet d’archivage. Pourtant, l’observateur serait bien en peine d’affirmer quel référent commun est au cœur d’une telle recension. Si certaines images possèdent entre elles des correspondances évidentes, comme celles arborant des fragments de sols, de paysages ou d’architectures ; d’autres nous donnent à voir des portraits ou des objets d’intérieur qui participent par conséquent d’un régime de réalité bien différent. A ces photographies qu’il réalise, Pierre Lavielle associe parfois des images récupérées, comme le tirage d’un négatif noir et blanc trouvé chez un brocanteur, figurant une mosquée d’Istanbul ou un autre montrant un homme accompagné d’un ours. L’indétermination classificatoire qui semble ici être de mise est encore accentuée par le jeu de permutations que, d’une exposition à l’autre, l’artiste réalise avec ces photographies, supprimant ainsi entre elles tout lien de correspondance stable. Les objets représentés et la manière disparate dont ces différentes représentations sont associées entre elles ne sont pas sans évoquer les deux acceptions que Michel Foucault confère au terme, souvent repris, d’hétérotopie. Dans Les Mots et les choses, l’hétérotopie est définie comme un agencement hétéroclite du réel qui engendre un disfonctionnement du langage ; en l’occurrence, des objets auxquels le spectateur est dans l’impossibilité d’attribuer un nom commun. Dans un texte ultérieur intitulé « Des espaces autres », l’hétérotopie désigne cette fois certains lieux situés hors de tous les lieux régis par les règles ordinaires de la société, et qui en sont en même temps des représentations, des inversions et des contestations. Si les photographies de paysages en friche et de bâtiments en ruine, souvent présentes dans les séries de Pierre Lavielle, évoquent de tels espaces, c’est surtout cette coexistence à l’intérieur d’une collection d’images hétéroclites qui leur donne, ensemble, l’aspect singulier d’hétérotopies visuelles. L’ordre induit par leur rigueur formelle, dans la mesure où il se trouve contredit par le désordre de l’agencement auquel elles participent, apparaît comme un signe d’étrangeté. Souvent saturées par un angle de vue qui colle au plus prêt de son objet, c’est finalement le vide régnant entre ces images qui leur confère un sens nouveau où les associations distendues de formes et de couleurs  prévalent désormais sur celles, thématiques, liées à la nature des motifs représentés. Si le travail de Pierre Lavielle répond à un projet d’archivage, ajoutons donc que l’artiste entend moins, à travers lui, rendre compte d’une réalité, que mettre au contraire le réel en suspens derrière  l’étrangeté nue et disparate de ses apparitions.l’incongruité nue d’une apparition. De la poésie des  formes et couleurs.

​Laurent Buffet

ill assorted strangeness


Pierre-A Lavielle’s photographs seem to be a matter of a filing project because of tight framings, that often endows them with the impersonal appearance of a report, but also because of an interdependence linked to their display in series. Yet, the observer would have considerable trouble, asserting which common referent lies at the heart of such a review. If some pictures have mutual obvious connections, such as the ones displaying ground, landscapes, architectural fragments, some others show portraits or indoor objects, consequently taking part of a quite different  realistic system. Pierre-A Lavielle sometimes associates some recuperated pictures to his photographs. These are black and white negative prints he has found at a second hand goods dealer, representing a mosque in Istanbul or another one showing a man with a bear. The indeterminate classification, which seems to be the current trend here, is even more stressed from one exhibition to another through permutations: these  photographs delete, any link of a steady correspondence between each other. Displayed objects, and the ill-assorted way of associating their representation, can’t prevent us from mentioning the two meanings given by Michel Foucault to the often-used word “ heterotopia” in words and objects. Heterotopia is a heterogeneous organization of reality that creates a language dysfunction, and in this case objects that the spectator can’t even name. In a later text entitled different spaces, heterotopias this time refer to some places situated out of all the places governed by ordinary rules of society, and that are at the same time some representations, inversions and criticisms. Waste-lands, buildings in ruins, often present in Pierre Lavielle’s series of photographs, evoke such spaces. This co-existence within several heterogeneous pictures gives them the singular aspect of visual heterotopias when they are together.
The order, lead by their formal harshness appears like a sign of strangeness in-so-far as it’s contradicted by the layout disorder to which they take part. Often saturated by a camera angle, so close to its object, the emptiness between these images gives them finally a new meaning, where the loose associations of shapes and colours , henceforth prevails on the thematic ones, linked to the nature of the represented patterns.

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